Skip to content
Newsletter

Cesaria Evora is first and foremost a mystery. She delights, fascinates and charms. Whatever our color, she is at once our friend, big sister and mother.

Click here to see the rest of the article by the writer Patrick Chamoiseau:



Cesaria Evora is first and foremost a mystery. She delights, fascinates and charms. Whatever our color, she is at once our friend, big sister and mother. When she comes to the Antilles, islands of zouk and beats, huge crowds stand in line at the ticket office. Everybody flocks to her concerts, from gros-ka fundamentalists to hardcore biguine-mazurka fans and addicts of rap and ragga: all want to immerse themselves in her melancholy. They take their shares of wrinkles and milk of youth. I have never had a chance to see her. The venues are always sold out. I can only imagine, gaze at her photos, be absorbed by her videos and dream of her tempi full of ancient pain.

In her book devoted to the Cabo-Verdean singer, Véronique Mortaigne makes it clear that a mystery such as hers cannot be solved, but only approached, experienced and revisited. This makes her fine writing and true sensitivity magnificent. She has understood that the secret of Cesaria Evora branches into many seams. Rather than a journey, she has to map erratic wanderings misted by fumes of punch and catchupa, through a geography of shadows, oases and light. Naturally, she has to listen to Cesaria – neither a peasant woman nor a ‘lady of the sea’, but a figure glimpsed in winding streets, bars and stores. She has to hear her delicious conversations with Vitoria, her good friend since childhood; learn the story of her fits of anger and torrent of insults; see her living in Mindelo, her island, town, port and hut, by a sea teeming with the hatreds and loves of those who were both forced to leave and compelled to remain. She sees the people who surround and love Cesaria, and those who support or take advantage of her. She sees her apron with its vast pockets, her plastic hair curlers and her waddling walk as she carries baskets of fish and herbs. She sees what Cesaria eats and learns the recipes, giving their number. She tastes the rum the singer shares freely, that did her so much harm and which the singer has no longer touched “since Christmas ’94”. She also has to understand the Cabo Verde archipelago and its initial catastrophe: Portuguese colonization and slavery. And then its struggle towards freedom and independence, its combats and alienations, its griefs and joys, and its mystery of life and salt in the growing threat of the Sahel.

Cesaria Evora is of that soil in the dryness of the sands. The book is not a biography, but an obscure revelation brimming with earth, life, music, simplicity, friendship, love, questions and lucidity. In its pages, I realize that Cesaria Evora is a Creole land in herself, whose diversity of imagination and people produces a music that connects with everyone, where melody, harmony and multiple rhythms encounter human suffering in a melting pot of blues, jazz and morna. I realize that Cesaria Evora is also a suffering – firstly hers, that of her life, her disastrous love affairs and a destructive intoxication to compensate for the wilting of the buds of hope. That familiar life of extremes ties in with ours in a tangible bond. When she sings, she brings us an entire life, escaping from the sordid bars and the fake gilt of socialite residences – the homes of Cabo Verde dotores who wanted to hear her sing. She also brings us her stationary exile, an irrepressible goal of exile that now lingers in each of us, drifting islands in a world that is a world unto itself. She reveals an incomparable sadness about everything possible. She tells us that happiness is lost but within reach. She speaks of black wounds of absence and silence. She describes the precious loam of memory. She tells of death and oblivion, loyalty and patience, liberty offered over bitter waves that one dares to tread. She tells of an open world of islands that are so accessible, so amenable to cultural fusions and the winds of the earth. She tells of inevitability, joy, hope, rounded strength and sharpened patience. Her feet are bare, her voice is naked, and so is her heart, proffered in a parure of all the graces. Among human beings, Cesaria is a queen.

Article written by Patrick Chamoiseau, published in the newspaper Le Monde for the publication of the biography written by Véronique Mortaigne, shortly after the release of the album “Cabo Verde” in February 1997. 

Patrick Chamoiseau, a French writer from Martinique, was born on December 3, 1953, in Fort-de-France. Author of novels, short stories and essays, he is a theoretician of Creole culture and also writes for the theater and cinema.

Read more

Cesaria Evora est d’abord un mystère. Elle plaît. Elle fascine. Elle séduit. Que l’on soit noir, rouge, blanc ou jaune, elle est tout de suite l’amie, la grande soeur, la mère.

Découvrez la suite du texte de l’écrivain Patrick Chamoiseau, en cliquant ici :



Cesaria Evora est d’abord un mystère. Elle plaît. Elle fascine. Elle séduit. Que l’on soit noir, rouge, blanc ou jaune, elle est tout de suite l’amie, la grande soeur, la mère. Quand elle vient aux Antilles, terres du zouk et du rythme, des foules massives prennent d’assaut les guichets. Tout le monde s’y précipite, depuis les intégristes du gros-ka, via les inconditionnels des biguines-mazurkas jusqu’aux intoxiqués du rap et du ragga : tous veulent s’enivrer de sa mélancolie. On y emmène ses charges de rides et son lait de jeunesse. Je n’ai jamais réussi à la voir. Guichets toujours clos. Je n’ai pu que l’imaginer, contempler ses photos, lorgner ses clips, vivre au songe de ses tempos pleins de douleurs anciennes.

Véronique Mortaigne, dans son livre sur la chanteuse du Cap-Vert, sait qu’un tel mystère ne s’élucide pas : qu’il s’aborde, s’éprouve, se fréquente. Son livre, d’écriture belle, sensibilité vraie, est de ce fait magnifique. Elle a compris que le secret de Cesaria Evora s’étoile en de multiples gisements, une géographie d’ombre, d’oasis et de lumière où il fallait mener non l’abscisse d’un voyage mais les courbes d’une errance dans la vapeur des punchs et de la catchupa. Il fallait bien sûr l’écouter, ni paysanne ni “dame de mer”, silhouette des rues tortueuses, des bars et des boutiques. Entendre ses savoureuses conversations avec Vitoria, sa bonne amie d’enfance. Savoir le récit de ses colères et le fracas de ses injures. La voir vivre à Mindelo, son île, sa ville, son port, sa case, au bord d’une mer chargée des haines et des amours de ceux qui sont tout à la fois forcés de partir et forcés de rester. Elle a vu ceux qui l’entourent et qui l’aiment, ceux qui la soutiennent ou qui l’exploitent. Elle a vu son tablier à larges poches, ses bigoudis en plastique, son dandinement entre les paniers de poissons et d’herbes aromatiques. Elle a vu ce qu’elle mange, entendu les recettes dont elle confie le chiffre, goûté à ses rhums qu’elle met à libre disposition, qui lui ont fait tant de mal et auxquels la chanteuse ne touche plus “depuis Noël 94”. Il lui fallait aussi comprendre l’archipel du Cap-Vert. Sa catastrophe initiale dans la colonisation portugaise et l’esclavage. Sa lutte vers la liberté jusqu’à l’indépendance, ses combats et ses aliénations, ses misères et ses joies, son mystère de vie et de sel dans les menaces grandissantes du Sahel.

Cesaria Evora est faite de cet humus dans le sec de ces sables. Ce n’est pas une biographie, c’est une révélation obscure, chargée de terre, de vie, de musiques, de simplicité, d’amitié, d’amour, d’interrogation et de lucidité. J’ai compris dans ces pages que Cesaria Evora est à elle seule une terre créole où la diversité des imaginaires et des hommes donnait naissance à une musique valable pour tous, là où la mélodie, l’harmonie et la polyrythmie ont rencontré les souffrances des hommes : creuset du blues, du jazz et de la morna. J’ai compris que Cesaria Evora est aussi une douleur, la sienne d’abord, celle de sa vie, de ses amours terribles, de cette ivresse destructrice qui suppléait aux bourgeons abîmés de l’espoir. Et cette vie familière des extrêmes parle à la nôtre en un direct sensible. Quand elle chante, elle vient avec une existence entière rescapée des bars sordides et des dorures factices de chez les grandes gens, dotores du Cap-Vert qui voulaient l’écouter. Elle vient aussi avec son exil immobile, ce but d’exil irrépressible qui maintenant gît en chacun de nous, îles en dérive dans le monde qui fait monde. Elle vient avec une incomparable tristesse envers le tout possible. Elle dit le bonheur perdu mais à portée de main. Elle dit la blessure nègre en absence et silence. Elle dit le souvenir en ses limons précieux. Elle dit la mort et l’oubli, la fidélité et la patience, la liberté offerte sur des vagues amères où l’on ose mettre le pied. Elle dit le monde ouvert des îles tellement peu clos, tellement livré aux métissages et aux souffles de la terre. Elle dit sous la fatalité, la joie, l’espoir, la force ronde, la patience aiguisée. Ses pieds sont nus, sa voix est nue, son coeur nu est offert dans la parure de toutes les grâces. Chez les êtres humains, Cesaria est une reine.

Texte écrit par Patrick Chamoiseau, paru dans Le Monde, à propos de la publication de la biographie écrite par Véronique Mortaigne, peu après la sortie de l’album « Cabo Verde » en février 1997.

Patrick Chamoiseau, né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France, est un écrivain français originaire de la Martinique. Auteur de romans, de contes, d’essais, théoricien de la créolité, il a également écrit pour le théâtre et le cinéma.

Lire la suite